Entretien avec l’entrepreneur, agriculteur, investisseur et chroniqueur, canadien François Lambert : « Le Bénin n’est presque plus un pays du tiers-monde »
Retis Steffy
Share

(Agence Ecofin) – Lors du Colloque économique et créatif Bénin-Canada, organisé du lundi 7 au vendredi 11 avril à Cotonou au Bénin par la Chambre de Commerce Bénin-Canada,nous avons rencontré l’entrepreneur et investisseur canadien François Lambert. Invité d’honneur de l’événement, il nous parle des opportunités de collaboration entre le Bénin et le Canada, et de la nécessité de promouvoir le potentiel de cette connexion.

Agence Ecofin : En mars 2025, le Canada a annoncé sa stratégie africaine. Votre présence ici poursuit-elle les mêmes objectifs de collaboration ?

François Lambert : J’ose croire que oui. Je suis très présent dans l’environnement agricole et entrepreneurial du Québec. Pour moi, il s’agissait de venir ici, de voir ce qui se fait, ce qui est exportable, et d’évaluer les possibilités d’investissement. Ces options sont envisageables. Je peux déjà dire que j’ai vu de belles opportunités, des entrepreneurs intéressants, des gens qui veulent réussir ici au Bénin.

AE : Justement, qu’est-ce qui vous a poussé à venir au Bénin ?

FL : Je suis déjà venu ici en 2007. Et surtout, je pense que tout entrepreneur qui réussit a le devoir social. Celui d’ouvrir, de partager son savoir et d’essayer d’aider les autres. Souvent, lorsque je donne des conférences ou des ateliers, des personnes me recontactent quatre ou cinq ans plus tard pour me dire : « Hey, tu as allumé une étincelle en moi, et c’est ce qui m’a poussé à commencer, à grandir, et à voir que tout était possible, parce que tout est possible. » J’aime bien allumer cette étincelle et c’était important pour moi de venir le faire ici, au Bénin.

CCI Bénin – Colloque économique et créatif : les opportunités Bénin–Canada a l’honneur

AE : Vous êtes venu en 2007. Depuis, qu’est-ce qui a changé, notamment dans l’environnement des affaires et dans les secteurs où vous êtes actif ?

FL : En 2007, j’étais venu en tant qu’entrepreneur pour ouvrir un centre d’appel, car j’étais dans ce domaine à l’époque. Nous avions évalué différents pays, et le Bénin était une place de choix. Finalement, nous n’avons pas obtenu le contrat.
Quand je regarde le Bénin aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé, ce qui n’est pas étonnant. Le contexte mondial a évolué depuis 2007.

Par exemple, le Canada importe 60 à 70 % de son miel de divers pays, mais pas encore du Bénin. C’est donc une opportunité, car le marché est ouvert à de nouveaux fournisseurs. Cela signifie que nous sommes prêts à accueillir du miel de différents pays, et le Bénin doit se positionner sur ce marché.

Ce qui a beaucoup changé ici, c’est la volonté entrepreneuriale. Bien évidemment, on voit que le gouvernement actuel a encouragé cet esprit entrepreneurial et la création d’entreprises. Mais au-delà du gouvernement, on sent une véritable envie de bâtir, de répondre à des besoins. Il y a énormément de dynamisme. Ce dynamisme entrepreneurial contribue à attirer des investissements au Bénin, mais également à pousser à l’exportation.

« Ce qui a beaucoup changé ici, c’est la volonté entrepreneuriale. Bien évidemment, on voit que le gouvernement actuel a encouragé cet esprit entrepreneurial et la création d’entreprises. »

Dès les premiers jours du colloque, j’ai constaté cette différence. Les entrepreneurs rencontrés ici donnent de l’espoir : il y a des possibilités. L’entrepreneuriat commence toujours par la croyance dans une possibilité.

Quand je raconte mon parcours — issu d’un père agriculteur, dans une région éloignée du Québec — et la manière dont nous avons bâti notre entreprise [qui produit du sirop d’érable en canettes, NDLR], je montre que tout est possible. Cela montre aussi l’importance de l’éducation.

Pour les Canadiens, l’Afrique, et le Bénin en particulier, ne sont pas si loin. Nous sommes habitués à traiter avec la Chine, qui est à quatorze heures de vol et avec qui nous avons une barrière linguistique. En Chine, nous devons souvent passer par des traducteurs. Ici, au Bénin, nous partageons la même langue. Cela facilite énormément les investissements.

« Pour les Canadiens, l’Afrique, et le Bénin en particulier, ne sont pas si loin. Nous sommes habitués à traiter avec la Chine qui est à quatorze heures de vol. »

Cependant, les Canadiens ne le savent pas encore assez. Et les Béninois doivent aussi comprendre que, même si le Canada semble lointain, si nous avons pu établir autant de relations commerciales avec la Chine, alors nous pouvons certainement le faire avec le Bénin.

Moi, je suis dans la transformation du sirop d’érable, et chaque jour, je travaille à faire rayonner le Québec, au Canada et à l’international. Les Béninois doivent eux aussi s’approprier ce type de rêve et se dire : « Pour moi aussi, c’est possible. »

AE : Sur quels axes les entreprises canadiennes et béninoises peuvent-elles collaborer ?

FL : La première étape, je pense, est l’agroalimentaire. C’est là que le Bénin dispose d’une force. Quand on regarde le miel, par exemple, il y a une véritable opportunité pour les années à venir.

Il faudrait voir émerger ici des apiculteurs qui partent de deux ruches, passent à cinq, puis à dix, pour arriver à mille, deux mille, voire trois mille ruches afin de pouvoir exporter. C’est réalisable en commençant petit, avec des financements adaptés, en s’installant durablement, et en combinant le savoir-faire local et international.

Il faut conserver l’aspect artisanal : c’est cela que le Bénin doit vendre. Qu’est-ce que les Béninois doivent offrir ? La qualité. Laissons la Chine produire la quantité. Le Bénin doit miser sur un savoir-faire, sur son exotisme.

« Il faut conserver l’aspect artisanal : c’est cela que le Bénin doit vendre. […] La qualité. Laissons la Chine produire la quantité. »

Ce serait idéal de commencer par des exportations massives de conteneurs, mais la réalité entrepreneuriale ne fonctionne pas ainsi. Il faut d’abord établir un lien de confiance. C’est le rôle des entrepreneurs béninois, des chambres comme la Chambre de Commerce Bénin Canada, en travaillant avec la Chambre de Commerce et d’Industrie Bénin.

Si, après ma présence ici, je parle du Bénin régulièrement au Canada, les Canadiens finiront par avoir confiance et par acheter les produits béninois.

Au Québec, nous n’avons pas d’usine de fabrication d’huile à grande échelle. Ici, au Bénin, c’est disponible.

J’ai visité Benin Textile SA (BTEX), une unité textile intégrée dans la Zone industrielle de Glo-Djigbé (GDIZ), qui fabrique des serviettes à partir de coton 100 % béninois. La majorité des Québécois ne savent même pas que ce genre d’initiatives existe. Il faut leur dire que le Bénin transforme son coton jusqu’à la production de polos, de chandails, etc.

Et avec les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, le Bénin a une carte majeure à jouer : se présenter comme une alternative crédible.

« Avec les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, le Bénin a une carte majeure à jouer : se présenter comme une alternative crédible. »

AE : Justement, en quoi le contexte mondial actuel est-il favorable à un rapprochement entre le Bénin et le Canada ?

FL : Donald Trump, en imposant des tarifs douaniers, a tenté de freiner la mondialisation, croyant qu’un pays pouvait produire tout ce dont il a besoin. Ce rêve est irréaliste. D’ailleurs, Trump a déjà dû reculer en accordant un sursis de quatre-vingt-dix jours sur certains tarifs.

Chaque pays doit devenir maître dans ce qu’il fait de mieux, et laisser à d’autres ce qu’ils maîtrisent mieux que nous.

Le Canada lui-même était autrefois un pays pauvre. Dans les années 40-50, nous avions des usines peu automatisées, où venaient investir les Américains parce que les salaires étaient plus bas.

Le Bénin est aujourd’hui bien positionné : peu d’industrialisation lourde, donc moins de pesticides, moins d’insecticides. Cela doit devenir un argument de vente.

« Le Bénin est aujourd’hui bien positionné : peu d’industrialisation lourde, donc moins de pesticides, moins d’insecticides. Cela doit devenir un argument de vente. »

Regardez la Nouvelle-Zélande : petit pays, devenu leader mondial de l’exportation d’agneaux en misant sur la qualité.

Le Bénin doit faire pareil. Il doit inciter les entreprises canadiennes à penser à lui, notamment dans le textile, car rien ne se fabrique plus au Canada. Mais attention : la priorité reste la qualité, pas la quantité.

AE : Vous soulignez que le Bénin, voire l’Afrique, sont peu connus au Canada. Comment améliorer cette situation ?

FL : Malheureusement, ce sont souvent les mauvaises nouvelles qui font la une. Pourtant, il y a aussi beaucoup de positif. Et il faut le mettre en avant en Afrique, au Bénin, sans dénigrer les autres pays.

Le Bénin n’est presque plus un pays du tiers-monde. Par exemple, Oxfam (Oxford Committee for Relief Famine) s’est retiré, ce qui est un signe positif. Il existe aujourd’hui une stabilité politique, un réseau bancaire, une organisation économique solide. Il faut le faire savoir.

« Le Bénin n’est presque plus un pays du tiers-monde. […] Il existe aujourd’hui une stabilité politique, un réseau bancaire, une organisation économique solide. Il faut le faire savoir. »

Je lance un appel aux Canadiens : venez voir par vous-mêmes. Passez une semaine ici. Visitez la GDIZ. Allez voir les agriculteurs. Sortez de Cotonou pour découvrir l’intérieur du pays. Vous verrez des routes, de l’organisation, du dynamisme.

Quand ils comprendront cela, les projets d’investissement et de délocalisation suivront naturellement.

Prenez l’exemple de la Tunisie : elle exporte massivement ses dattes et son huile d’olive au Canada. Le Bénin pourrait réussir tout autant, dans d’autres secteurs.

Propos recueillis par Servan Ahougnon, pour l’Agence Ecofin.

Published: mai 5, 2025
Writen by
Retis Steffy

Table des matières

Continue reading
Entretien avec l’entrepreneur, agriculteur, investisseur et chroniqueur, canadien François Lambert : « Le Bénin n’est presque plus un pays du tiers-monde »

(Agence Ecofin) – Lors du Colloque économique et créatif Bénin-Canada, organisé du lundi 7 au vendredi 11 avril à Cotonou au Bénin par la Chambre de Commerce Bénin-Canada,nous avons rencontré l’entrepreneur et investisseur canadien François Lambert. Invité d’honneur de l’événement, il nous parle des opportunités de collaboration entre le Bénin et le Canada, et de la nécessité de promouvoir le potentiel de cette connexion. Agence Ecofin : En mars 2025, le Canada a annoncé sa stratégie africaine. Votre présence ici poursuit-elle les mêmes objectifs de collaboration ? François Lambert : J’ose croire que oui. Je suis très présent dans l’environnement agricole et entrepreneurial du Québec. Pour moi, il s’agissait de venir ici, de voir ce qui se fait, ce qui est exportable, et d’évaluer les possibilités d’investissement. Ces options sont envisageables. Je peux déjà dire que j’ai vu de belles opportunités, des entrepreneurs intéressants, des gens qui veulent réussir ici au Bénin. AE : Justement, qu’est-ce qui vous a poussé à venir au Bénin ? FL : Je suis déjà venu ici en 2007. Et surtout, je pense que tout entrepreneur qui réussit a le devoir social. Celui d’ouvrir, de partager son savoir et d’essayer d’aider les autres. Souvent, lorsque je donne des conférences ou des ateliers, des personnes me recontactent quatre ou cinq ans plus tard pour me dire : « Hey, tu as allumé une étincelle en moi, et c’est ce qui m’a poussé à commencer, à grandir, et à voir que tout était possible, parce que tout est possible. » J’aime bien allumer cette étincelle et c’était important pour moi de venir le faire ici, au Bénin. CCI Bénin – Colloque économique et créatif : les opportunités Bénin–Canada a l’honneur AE : Vous êtes venu en 2007. Depuis, qu’est-ce qui a changé, notamment dans l’environnement des affaires et dans les secteurs où vous êtes actif ? FL : En 2007, j’étais venu en tant qu’entrepreneur pour ouvrir un centre d’appel, car j’étais dans ce domaine à l’époque. Nous avions évalué différents pays, et le Bénin était une place de choix. Finalement, nous n’avons pas obtenu le contrat.Quand je regarde le Bénin aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé, ce qui n’est pas étonnant. Le contexte mondial a évolué depuis 2007. Par exemple, le Canada importe 60 à 70 % de son miel de divers pays, mais pas encore du Bénin. C’est donc une opportunité, car le marché est ouvert à de nouveaux fournisseurs. Cela signifie que nous sommes prêts à accueillir du miel de différents pays, et le Bénin doit se positionner sur ce marché. Ce qui a beaucoup changé ici, c’est la volonté entrepreneuriale. Bien évidemment, on voit que le gouvernement actuel a encouragé cet esprit entrepreneurial et la création d’entreprises. Mais au-delà du gouvernement, on sent une véritable envie de bâtir, de répondre à des besoins. Il y a énormément de dynamisme. Ce dynamisme entrepreneurial contribue à attirer des investissements au Bénin, mais également à pousser à l’exportation. « Ce qui a beaucoup changé ici, c’est la volonté entrepreneuriale. Bien évidemment, on voit que le gouvernement actuel a encouragé cet esprit entrepreneurial et la création d’entreprises. » Dès les premiers jours du colloque, j’ai constaté cette différence. Les entrepreneurs rencontrés ici donnent de l’espoir : il y a des possibilités. L’entrepreneuriat commence toujours par la croyance dans une possibilité. Quand je raconte mon parcours — issu d’un père agriculteur, dans une région éloignée du Québec — et la manière dont nous avons bâti notre entreprise [qui produit du sirop d’érable en canettes, NDLR], je montre que tout est possible. Cela montre aussi l’importance de l’éducation. Pour les Canadiens, l’Afrique, et le Bénin en particulier, ne sont pas si loin. Nous sommes habitués à traiter avec la Chine, qui est à quatorze heures de vol et avec qui nous avons une barrière linguistique. En Chine, nous devons souvent passer par des traducteurs. Ici, au Bénin, nous partageons la même langue. Cela facilite énormément les investissements. « Pour les Canadiens, l’Afrique, et le Bénin en particulier, ne sont pas si loin. Nous sommes habitués à traiter avec la Chine qui est à quatorze heures de vol. » Cependant, les Canadiens ne le savent pas encore assez. Et les Béninois doivent aussi comprendre que, même si le Canada semble lointain, si nous avons pu établir autant de relations commerciales avec la Chine, alors nous pouvons certainement le faire avec le Bénin. Moi, je suis dans la transformation du sirop d’érable, et chaque jour, je travaille à faire rayonner le Québec, au Canada et à l’international. Les Béninois doivent eux aussi s’approprier ce type de rêve et se dire : « Pour moi aussi, c’est possible. » AE : Sur quels axes les entreprises canadiennes et béninoises peuvent-elles collaborer ? FL : La première étape, je pense, est l’agroalimentaire. C’est là que le Bénin dispose d’une force. Quand on regarde le miel, par exemple, il y a une véritable opportunité pour les années à venir. Il faudrait voir émerger ici des apiculteurs qui partent de deux ruches, passent à cinq, puis à dix, pour arriver à mille, deux mille, voire trois mille ruches afin de pouvoir exporter. C’est réalisable en commençant petit, avec des financements adaptés, en s’installant durablement, et en combinant le savoir-faire local et international. Il faut conserver l’aspect artisanal : c’est cela que le Bénin doit vendre. Qu’est-ce que les Béninois doivent offrir ? La qualité. Laissons la Chine produire la quantité. Le Bénin doit miser sur un savoir-faire, sur son exotisme. « Il faut conserver l’aspect artisanal : c’est cela que le Bénin doit vendre. […] La qualité. Laissons la Chine produire la quantité. » Ce serait idéal de commencer par des exportations massives de conteneurs, mais la réalité entrepreneuriale ne fonctionne pas ainsi. Il faut d’abord établir un lien de confiance. C’est le rôle des entrepreneurs béninois, des chambres comme la Chambre de Commerce Bénin Canada, en travaillant avec la Chambre de Commerce et d’Industrie Bénin. Si, après ma présence ici, je parle du Bénin régulièrement au Canada, les Canadiens finiront par avoir confiance et par acheter les produits béninois. Au Québec, nous n’avons pas d’usine de fabrication d’huile à grande échelle. Ici, au Bénin,

Read More